Les chroniques des chasseurs

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Ce texte revisite les revers de cette autre catégorie de philanthropes qui, à la quête de leur seule gloire, dépouillent les bénéficiaires de leur dignité consciemment ou inconsciemment…

Les privilèges des chasseurs
Sont visiblement invisibles.
Ils se disent forts
Rien que par leur labeur et leur sueur;
Ils ne mentionnent pas la lignée
Qui les précède, ni les trésors
Dont ils héritent !
Leurs flèches dorées,
Leurs arcs en matières raffinées
Et une expertise qui se transmet
De père en fils.

Les parchemins des chasseurs
Parlent de leur philanthropie,
De leur bourse
Qu’ils déversent avec générosité,
De leurs placards
Et greniers qui se vident;
Les pages des magazines
Vantent leurs mérites et gloires;
Nous, les bénéficiaires de leur altruisme
Sommes devenus leurs décorations,
Les conquêtes qu’ils collectent
Précieusement et minutieusement,
Les prouesses qu’ils exhibent fièrement
Les propriétés qu’ils gardent jalousement.

Leurs intentions ont tout inversé,
De leur main gauche, ils nous donnent
De leur main droite, une caméra ils tiennent
Ils nous postent, exhibent nos peines
Puisqu’ils détiennent les rênes
Du pouvoir;
On mâche nos mots
On cache les maux
De notre humanité sous les coups de hache,
Ils aiment les couleurs de notre détresse
Les formes de notre misère
Sur les tableaux de leurs galeries;
Ils adorent l’image qu’ils reflètent
Alors qu’ils râpent notre dignité en miettes
Sur les exposés de leur panoramas.

Nous sommes les tickets-sponsors
De leurs places VIP
Dans les dîners de gala
Baptisés soirées de charité;
Nous sommes l’objet
De leurs propos à voix basse
Et de leurs discours à voix haute.
Ils se frottent les mains
À chacune de nos tragédies
Car elles leur occasionnent
Des vitrines d’exposition
Des pluies d’éloges
Des sentiers de gerbes.

Vous avez vu la sueur de ma mère
Épuisée, harassée
À travailler la terre,
Puiser l’eau dans la vallée,
Couper du bois pour cuisiner un maigre repas
Et vous n’y avez vu que de la pitié ?
Vous avez vu mon père
Partir loin, loin de nous
Pour de meilleurs gages,
Économiser chaque sous
Et souffrir de nostalgie
Et vous n’y avez vu que de la pitié?
Rien que ça ?

Vous avez vu ce garçon
Etre enfant de rue pendant des années,
Dormir sur des cartons,
Passer des jours sans manger,
Soulever des bagages lourds
Garder des voitures,
Vendre des bricoles,
Quémander pour ne pas s’évanouir
Mais malgré tout rêver d’être grand,
S’apprêter à aller à l’école
Et vous n’y avez vu que de la pitié?
Rien que la pitié?

Vous avez rencontré cette fille
Restée sur le banc de l’école
Malgré ses dysménorrhées
Et son manque de serviettes hygiéniques
A cause de la pauvreté.
Les innombrables corvées domestiques
Après le son de la cloche scolaire.
Les propos misogynes
Et l’épaisse brume qui couvre ses horizons
Et vous n’avez ressenti que de la pitié?
Rien que ça?

Vous avez assisté à des familles
Qui ont vu leurs toits et leurs champs
Se noyer dans les inondations
Perdre leur présent et l’espoir de leur futur
Le tout le temps d’un cataclysme
S’accrocher à l’unité de leur foyer
Sous des tentes étroites
Et vous n’y avez vu que de la pitié?
Rien que ça?

Vous n’avez pas su apercevoir
Leur courage, leur désir de vivre
Leurs sourires et rires
Qui émergent de leurs cendres
Leurs sacrifices qui donnent vie
Leur envie farouche d’espérer
La disponibilité de partager leurs miettes
Leur héroïsme en silence
Leurs chants et danses qui ne tarissent jamais
La beauté que leurs mains d’artisans
Peuvent façonner
Vous n’y avez vu que de la pitié!
Et vous n’avez vanté que votre philanthropie.

Décidément, une seule version de l’histoire
Fera toujours la une
Ne relatant que les chroniques des gloires des chasseurs;
Le sage Achebe l’aura bien dit avant moi, les lions n’ont ni plateforme ni audience
Car tant qu’ils n’auront pas leurs propres historiens, l’histoire de la chasse glorifiera toujours le chasseur.



Kaze

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