Au-delà des huis clos

708

Aux premiers instants de ce fléau, la poésie fut le refuge de mes états d’âmes. Ses nombreuses vagues ramènent mes vers…

Dites à ma mère que son bébé se porte bien
Que ses forces se renouvellent chaque matin
Oui, l’ennemi est invisible mais elle se forge des défenses tant bien que mal,
Érigeant des forteresses autant mentales que murales;
Dites-lui que son enfant espère un jour ressortir de cette solitude qui semble s’éterniser au fil des jours 
Car oui, le confinement peut paraître salvateur 
Mais je commence à sentir tous ces murs me claustrer de plus en plus.

Dites à mon père que sa princesse garde le sourire 
Dites-lui que dans cet univers où le monde du travail est à l’arrêt complet 
Elle est aujourd’hui plus que jamais reconnaissante d’avoir un père aimant qui subvient à ses besoins;
Dites-lui qu’elle se bat pour se nourrir autant que le permet son moral
Qu’elle révise ses cours au gré de ses humeurs
Car oui, je vivais seule avant mais on ne m’avait pas appris à vivre coupée du monde
On ne m’avait pas appris à héler les gens de loin pour les garder en vie;
Dites-lui que je ne me retourne plus assez dans ce lit qui me semble plus familier que n’importe quel autre recoin de mon logement; 
Dites-lui que mes nuits se pavanent au soleil pour m’offrir des journées nocturnes
Car oui, je vis, je survis et je ne compte plus les heures 
Je vis, je survis, et je ne vis plus au rythme des heures.

Dites à ma sœur que je me bats pour travailler
Oui, ils disent que nous sommes en guerre 
Mais moi je mène d’autres combats 
Des cours non lus qui s’empilent sur ma conscience 
Des profs déboussolés qui ne savent plus comment nous évaluer
Des profs absents qui ne savent pas comment transmettre leur savoir via cet outil si sophistiqué et compliqué qu’est la technologie
Des cours en présentiel aux audiences fantômes 
Des cours en ligne que l’on n’arrive plus à suivre
Des courriels envoyés en rafales que l’on n’a plus le courage d’ouvrir
Des étudiants découragés qui ne répondent plus à l’appel 
Des amis esseulés qui luttent contre une dépression qui gagne du terrain 
Une famille inquiète qui reste au bout du fil
Le fil d’un appel qui peut ne pas durer
Un appel que je prends souvent pour ne pas alarmer;
Dites-lui que là où elle est,
Au milieu d’un champ de bataille parsemé de soldats aux poumons criblés de balles acharnées, 
Avec des gels comme seule arme,
Derrière un masque comme seul bouclier, 
Je prie plus pour elle que pour moi.

J’adresse cette missive à toi qui entends parler d’un fléau lointain 
À toi qui entends parler de cas qui doublent jour après jour 
À toi qui espères être à l’abri de cet ennemi invisible 
A toi qui penses que le confinement est une arme inefficace
À toi qui oses t’appuyer sur l’immunité supérieure d’une quelconque race
Sache que ce virus est venu tel un voleur, 
Il ne nous a pas donné le temps de donner un dernier câlin 
Il nous a ôté étreintes et bises 
Il nous a offert deuil et angoisse
Il nous a confronté à cet homme intérieur et paranoïaque que l’on dissimulait en nous-mêmes.
Il nous a appris à retrouver le calme de l’essentiel
Le calme d’une vie qui espère passer à l’autre bord
Le calme d’une nature qui se plaît à renaître en notre absence
Je prie juste pour que tu comprennes que je ne me battrai pas seule 
Car je ne suis pas en guerre mais NOUS sommes en guerre
Je prie pour que tu saches que la vie gagne toujours.

Dushime

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *